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Changement de perspectives

Masahiko Metoki et Marjan Osvald, Directeur général et Vice-Directeur général du Bureau international de l’UPU, respectivement, sont entrés en fonctions en janvier 2022. Ils incarnent le renouveau au sein de l’institution spécialisée des Nations Unies pour le secteur postal. Ils ont rencontré Union Postale pour présenter leur vision du mandat de quatre ans qui les attend.

Masahiko Metoki, Directeur général du Bureau international de l’UPU

Vous consacrez votre carrière au service public. Pourquoi ce choix de parcours professionnel et pourquoi la poste est-elle un service public si important?

À mon avis, il n’y a rien de plus enrichissant que de se consacrer au service des autres. Il n’y a pas meilleure leçon d’humilité. C’est pourquoi j’ai choisi de faire carrière dans le secteur public.

Mon amour pour la poste a commencé tôt, alors que je travaillais au Ministère japonais des postes et télécommunications, dans les années 80. Cet amour a grandi quand je suis devenu Postmaster d’un bureau de poste local, au contact direct des populations. C’est là que j’ai pris la pleine mesure du caractère essentiel de la poste pour la société. Les agents de la poste comptent parmi les rares fonctionnaires qui vont à la rencontre du public tous les jours. Ils permettent aux usagers d’accéder au strict minimum, en termes de communication, mais aussi de services commerciaux et financiers, et bien plus encore, et tout cela sur le pas de leur porte.

Avez-vous vu le secteur postal évoluer pendant votre carrière? Quelle direction prend-il, selon vous?

Comme je l’ai déjà précisé, cela fait plusieurs dizaines d’années que j’ai commencé ma carrière dans ce secteur, aussi ai-je eu l’occasion de le voir considérablement évoluer, en particulier depuis que la numérisation a pris le contrôle du monde qui nous entoure. Ce renouveau de la communication a remodelé le rôle de la poste. Si les lettres ont été le cœur du métier, le secteur postal a dû embrasser de nouvelles opportunités, comme la distribution des colis produits par l’essor du commerce électronique, le renforcement de son rôle de prestataire de services financiers et la coopération plus étroite avec les gouvernements pour traduire en actes des programmes sociaux et autres qui requièrent un lien privilégié avec les populations. La pandémie de COVID-19 a intensifié ce changement de direction. L’importance de la poste en tant que partenaire de service public est devenue évidente, plus seulement pour les gouvernements, mais également pour la clientèle. Les postes doivent saisir cette opportunité et rester sur leur lancée pour retrouver la rentabilité perdue avec le déclin de la part du lion du secteur postal – les lettres.

Comment votre expérience en tant que Président du Conseil d’exploitation postale éclaire-t-elle votre vision de l’UPU pour le prochain cycle?

Mon rôle de Président du Conseil d’exploitation postale m’a apporté une connaissance profonde des rouages de l’activité postale dans le monde. J’ai ainsi appris à connaître les défis et opportunités auxquels sont confrontées les postes dans différentes régions, à différents niveaux de développement. Les écarts de développement que j’ai remarqués entre les pays et les régions ont guidé ma vision de Directeur général. Cette vision vise à ce qu’aucun pays ne soit laissé pour compte alors que le secteur poursuit son développement.

Je crois que l’UPU occupe une position privilégiée pour déceler les écarts de développement postal et les atténuer. En effet, seule l’UPU a l’envergure et la vision globale requises pour savoir où ils sont les plus marqués. Avec ses 192 Pays-membres, l’UPU est également en capacité de faciliter la coopération et le partage de connaissances sur son réseau afin de combler les fossés. Nous sommes les mieux placés pour sensibiliser les gouvernements au caractère crucial des investissements dans l’infrastructure postale. Nous sommes également en contact avec les Unions restreintes, qui peuvent nous aider à accélérer le développement dans les régions.

Cela fait maintenant plus d’un mois que vous avez pris vos fonctions. Quelles sont vos premières impressions du Bureau international et quelles sont vos priorités en tant que Directeur général? 

Quand je présidais le Conseil d’exploitation postale, j’ai eu l’occasion de coopérer étroitement avec le Secrétariat du Bureau international. J’ai toujours su que le personnel du Bureau international travaillait dur et avec dévouement pour faire avancer l’Union et le secteur. Par conséquent, lorsque j’ai pris mes fonctions ici à Berne, je n’ai pas été surpris qu’on me soumette de nouvelles idées. Toutefois, j’ai remarqué des cloisonnements et inefficacités dans la collaboration entre les différents services du Secrétariat. Cela n’est pas rare dans les organisations bureaucratiques.

Je voulais trouver comment lever les barrières à la fluidité du travail du Secrétariat, le service chargé en définitive de garantir que l’UPU peut poursuivre les travaux qui lui ont été confiés pour le cycle en cours.

L’écoute a donc été ma priorité absolue. Marjan-san et moi avons interrogé nos collaborateurs et collaboratrices pour comprendre comment marchent les équipes, savoir comment les équipes interagissent entre elles et déterminer ce qui pourrait être fait pour améliorer leur travail. Les contributions, très précieuses, ont éclairé ma seconde priorité – redéfinir le Secrétariat du Bureau international pour corriger les difficultés que le personnel a portées à notre attention et garantir que le Bureau international peut mieux servir les Pays-membres de l’UPU. Cette réorganisation a également permis de créer un nouvel organe de réflexion au sein du Bureau international pour détecter toutes les opportunités qui se présentent à la poste. Cet organe permettra à l’UPU de jouer au mieux son rôle de forum, de prestataire de solutions postales et de centre de connaissances au service de ses 192 Pays-membres, mais aussi des partenaires du secteur élargi.

Quelle est selon vous l’opportunité la plus prometteuse pour le secteur?

La COVID-19 est l’un des plus gros défis du secteur postal, mais a également été source de plusieurs occasions clés de transformer notre activité. En effet, outre prouver au monde entier que la poste est un service véritablement essentiel, la pandémie a aussi forcé les postes à se diversifier et à innover.

L’un de mes buts premiers est de faire perdurer cet esprit d’innovation. Nous savons que le secteur des lettres connaît un effondrement rapide. Nous assistons à la multiplication des petits paquets avec l’essor du commerce électronique. Nous voyons clairement que les attentes de la clientèle évoluent de pair avec le développement des nouvelles technologies. Nous pouvons faire de ces défis des occasions, à condition de nous obliger à rester en dehors de notre zone de confort. J’ai l’intention de faire en sorte que cela soit le cas.

Comment envisagez-vous le rôle de l’UPU, en termes de préparation du secteur pour demain?

Je considère l’UPU comme un espace de réflexion pour le secteur postal. L’UPU a l’avantage unique de pouvoir réunir les opérateurs de 192 pays dans un espace commun pour coopérer, échanger des connaissances et des bonnes pratiques, élaborer des solutions et planifier l’avenir du secteur. Cela est inscrit dans notre stratégie des quatre prochaines années – la Stratégie postale d’Abidjan.

Les Pays-membres s’attachent en ce moment à examiner comment mieux intégrer dans nos processus les nombreux partenaires que nous avons en dehors de notre réseau de membres. Cette diversité de points de vue peut nous être profitable pour favoriser un haut niveau de développement postal dans tous les pays et faire évoluer nos services de sorte à satisfaire et même dépasser les attentes des plus de sept milliards d’habitants de la Terre.

Pendant votre campagne, vous avez évoqué l’harmonisation de la communication entre les Pays-membres de l’UPU et le personnel du Bureau international. Comment allez-vous diriger cette harmonisation?

Ce que je viens de dire ne sera pas possible sans une communication efficace et transparente à travers le réseau de l’UPU, entre les Pays-membres, mais aussi au sein du Secrétariat. J’espère diriger par l’exemple et instaurer un espace de dialogue ouvert où l’on commence par écouter avant de parler. L’écoute doit toujours être la première étape de la prise de décisions qui concerneront directement 192 Pays-membres. Chaque pays a des idées, des difficultés et des contraintes qui lui sont propres, aussi devons-nous tenir compte au mieux de ces conditions variées, afin de garantir que le fruit des travaux menés à l’UPU nous fait tous avancer et n’exclut personne.

Le personnel du Bureau international organise et facilite les travaux de l’UPU, aussi est-il important d’éliminer tous les cloisonnements au sein de l’organisation. Comme je l’ai dit, l’une de mes priorités en arrivant à Berne était de comprendre le fonctionnement du Secrétariat pour l’aider à travailler plus efficacement. Le Vice-Directeur général et moi-même, aidés de notre équipe de transition, avons passé nos premiers mois à observer les opérations quotidiennes et à glaner des informations. Depuis, nous avons restructuré le Bureau international d’une manière qui, nous l’espérons, permettra d’éliminer les cloisonnements et de rationaliser nos travaux.

Vous vous concentrez également sur le développement durable. Maintenant que vous tenez la barre d’une institution spécialisée des Nations Unies, comment entendez-vous optimiser ou promouvoir la contribution de l’UPU et de ses Pays-membres au Programme de développement durable à l’horizon 2030?

L’UPU fait partie de la famille des Nations Unies et se doit donc de coordonner les efforts déployés pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Nous savons depuis de nombreuses années que la poste est un partenaire privilégié des gouvernements en matière de mise en œuvre de programmes d’inclusion et de développement socioéconomique. Nous constatons que la poste doit également jouer un rôle important dans d’autres domaines, comme la lutte contre le changement climatique et l’égalité entre les genres – le dernier Congrès a d’ailleurs élaboré des résolutions dans ces deux domaines, et nous travaillons à pleine vitesse pour les faire avancer.

 
Marjan Osvald, Vice-Directeur général du Bureau international de l’UPU

Votre carrière à la poste est longue. Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce secteur?

Si je devais répondre en un seul mot, ce serait «solidarité». Traditionnellement, les services postaux promeuvent l’inclusion et rapprochent les peuples. Ils nous facilitent la vie. C’est pourquoi le rôle de la poste dans la construction d’une société de solidarité m’est très cher, parce qu’il profite à tous – son utilité est universelle et il fait du bien à la société dans son ensemble. La poste est une institution qui doit avoir sa place dans la société et dont le rôle doit être défini par les usagers.

Comment le secteur a-t-il évolué et comment l’imaginez-vous pour les années à venir?

Cela fait vingt-cinq ans que je suis de près le développement du secteur, et je dois dire qu’il n’a pas de différence avec les autres secteurs. Pour être honnête, nous avons une chance considérable comparativement aux autres. Cependant, la manière dont la technologie grignote le secteur m’inquiète un peu. Je crains que les choses n’évoluent dans un sens que nous risquons de ne plus pouvoir influencer. Je doute que la robotisation ou l’automatisation et l’intelligence artificielle, conjuguées à l’humanisation des processus, puissent prendre la relève pour toutes les fonctions nécessaires de notre environnement. Nous ne devons pas oublier que les Pays-membres ne sont pas tous au même niveau de développement, et que les moins industrialisés risquent d’être encore plus à la traîne si nous ne faisons rien. Il est difficile de prédire les évolutions et tendances futures. Dans les années 90, nous avons entendu les premières prévisions que des intégrateurs comme DHL, TNT, DPD et GLS, entre autres, concrétiseraient la privatisation des opérateurs postaux. C’est l’exact contraire qui s’est produit.

Au fil des ans, vous avez contribué activement au Conseil d’administration de PostEurop. Quel rôle voyez-vous pour les Unions restreintes dans l’évolution du secteur?

Suivre l’évolution du secteur postal en Europe, ou plutôt dans l’Union européenne, a été un privilège. PostEurop est une association d’opérateurs postaux publics européens et constitue, à mon avis, un exemple très réussi de l’évolution future des opérateurs postaux du monde. En tant que membre du Conseil d’administration de PostEurop, j’ai participé à plusieurs projets importants et je suis ravi d’affirmer que les différences entre pays industrialisés et pays moins industrialisés sont moins marquées dans la région Europe qu’à l’échelle mondiale.

Les Unions restreintes doivent être davantage mobilisées dans le processus de développement. Il ne tient qu’à nous, l’UPU, de rendre cela possible. Le développement régional constitue la forme de développement la plus efficace. Les mieux placés pour savoir comment travailler ensemble plus efficacement sont deux ou trois pays voisins, par exemple en Amérique latine. Certaines choses sont en réalité très simples quand on les examine sous le bon angle.

Comment envisagez-vous votre rôle de Vice-Directeur général?

Je ferai de mon mieux pour mettre au service de tous l’expérience et les bonnes pratiques que j’ai acquises dans mes précédentes fonctions. Je crois pouvoir distinguer le bien du mal, et je suis prêt à apprendre et à faire des compromis. J’ai aussi une certaine expérience en médiation que je crois cruciale pour surmonter les obstacles institutionnels, mais pas seulement.

Par-dessus tout, j’essaierai de donner le bon exemple. Je pense que c’est la seule manière de motiver des employés qui, dans le secteur des services, sont encore plus précieux que les usagers, à mon avis. En effet, si vous ignorez comment vendre du pain, vous échouerez, même si le pain est un aliment essentiel.

Cela fait maintenant plus d’un mois que vous avez pris vos fonctions. Quelles sont vos premières impressions du Bureau international et quelles sont vos priorités en tant que Vice-Directeur général?

Depuis mon arrivée, j’apprends, je rencontre mes collègues et je fais connaissance avec eux, mais, surtout, j’écoute. C’est comme cela que j’ai pu classer mes priorités. Peut-être ma liste de priorités aura-t-elle changé en fin d’année, mais je voudrais commencer par rétablir la confiance dans l’organisation et relever le niveau de la communication pour l’inscrire dans honnêteté et le respect. En même temps, nous ne devons ni oublier le développement durable ni les Pays-membres du tiers monde qui ont besoin de notre aide. Je crois que nous avons tous bien conscience que le temps de notre mandat est limité et que d’autres prendront notre place. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ceux qui viendront fassent mieux, et pas pire.

Vous plaidez pour le développement postal des pays les moins avancés et encouragez en parallèle les pays plus avancés à aller de l’avant. À votre avis, comment l’UPU peut-elle faire en sorte qu’aucun pays ne soit à la traîne, dans le contexte de transformation du secteur?

C’est vrai. Je veux mettre en évidence les bonnes pratiques et une propriété responsable. Heureusement, dans notre secteur, un certain degré de solidarité persiste. Cela signifie que des opérateurs et propriétaires responsables partagent leur expérience avec d’autres opérateurs postaux en développement et leur suggèrent des solutions. Le déploiement de nouveaux modèles et solutions est plus facile et rentable. En outre, des propriétaires responsables savent ce qu’ils veulent faire de leur poste nationale, quelle place ils veulent donner à leurs services postaux dans la société, quel est le rôle des services postaux aujourd’hui et ce qu’il deviendra demain. La transformation mondiale est plus simple que ce que nous imaginons aujourd’hui – il suffit de l’articuler correctement.

Comment prévoyez-vous d’accroître la participation des parties prenantes de la poste aux travaux de l’UPU?

L’Union – l’organisation elle-même – doit devenir plus efficace. Je pense qu’il s’agit là de l’étape la plus importante pour renforcer la participation. Si nous en sommes là, c’est grâce aux Pays-membres, et pas l’inverse. Plus précisément, nous ne sommes pas là pour notre propre bien.

Laissez-moi essayer de l’illustrer avec les buts et objectifs de l’UPU, que nous avons atteints à 99%, voire à 100% dans le passé. De tels résultats me font toujours peur. Ils me font douter, soit de la mesure, soit des buts eux-mêmes – peut-être n’étaient-ils pas assez ambitieux. Cela doit être clair et transparent pour toutes les parties prenantes de l’UPU.

Les parties prenantes extérieures sont toutes aussi importantes pour moi. Le fait est que nous avons raté des occasions par le passé – les services financiers, par exemple. En particulier en Europe, à quelques rares exceptions près, les banques postales traditionnelles sont malheureusement complètement insignifiantes. Je ne sais pas quel modèle les Pays-membres trouveront le plus adapté en termes de participation des parties prenantes extérieures, mais je pense que nous devons être présents dans le segment financier également. J’attends des parties prenantes extérieures qu’elles formulent leurs demandes et attentes plus clairement à l’avenir. Bien sûr, cela part du principe que nous les laissons participer aux débats.

J’ignore quel concept se révélera le meilleur pour l’Union en définitive, mais je sais que je ferai de mon mieux pour garantir que les décisions prises sont adoptées avec le consensus de tous les Pays-membres.

Depuis votre élection, votre style de direction met l’accent sur les techniques de management novatrices, la transparence et la déontologie. Comment améliorerez-vous ou ajusterez-vous les processus opérationnels de l’UPU pour les rendre plus transparents et axés vers le futur?

Toute amélioration prend du temps. Le Directeur général et moi-même entretenons une relation basée sur l’ouverture et la communication, et je lui suis très reconnaissant de toujours tenir compte de mon opinion lorsque nous parlons de mesures et de changements à court et à long terme. Je crois que notre relation, basée sur l’honnêteté, nous facilitera la tâche lorsqu’il s’agira de prendre des décisions difficiles.

J’ai aussi rencontré nos collègues de haut rang, dont certains que je connaissais déjà. Ensemble, nous essaierons de motiver nos employés, tant en leur montrant le bon exemple qu’avec une communication claire et correcte. Mon collègue Metoki-san et moi-même avons déjà introduit certains changements, et d’autres attendent. Comme je l’ai déjà dit, nous devons écouter nos Pays-membres et comprendre leurs problèmes. C’est la base. Nos employés doivent simplement mieux comprendre comment l’organisation peut aider les Pays-membres responsables avec son arsenal de solutions techniques, textes de loi, normes, règlements et mesures. Voilà comment je vois notre rôle.

Cet article est paru dans le numéro de de printemps 2022 du magazine Union Postale.