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Même la nuit la plus noire a une fin – Entretien avec Akihiro Nikaido, receveur du bureau de poste d’Ishinomaki, à propos du tremblement de terre et du tsunami de Tohoku

À l’occasion de la Journée mondiale sur les tsunamis et pour mettre en avant les travaux de l’Union postale universelle en matière de réduction des risques liés aux catastrophes, l’institution spécialisée des Nations Unies pour les questions postales s’est entretenue avec Akihiro Nikaido, receveur du bureau de poste d’Ishinomaki, à propos de son expérience en cette journée dramatique

Question 1 – Vous étiez le receveur du bureau de poste d’Ishinomaki au moment du tremblement de terre et du tsunami de 2011. Pouvez-vous me raconter votre expérience?
Le tremblement de terre du 11 mars 2011 et le tsunami qui a suivi ont fait subir de lourds dégâts à la ville d’Ishinomaki. J’ai vu un bateau qui avait été emporté par le tsunami et déposé sur le toit d’un bâtiment. Je n’aurais jamais cru cela possible. Au mois de mars, dans la région de Tohoku, il fait encore très froid. Après le tremblement de terre, il a neigé à Ishinomaki. Après plusieurs répliques et suite aux ravages causés par le tremblement de terre et le tsunami, la population était désemparée. Les gens essayaient de s’abriter et de faire face au froid hivernal. Je travaillais à ce moment-là au bureau de poste d’Ishinomaki. Je servais des clients au guichet des services financiers, avec d’autres employés. Le tremblement de terre a frappé à 14 h 46 (heure japonaise), faisant trembler les bâtiments avec une force incroyable. Je n’avais jamais connu une telle secousse. Mes collègues ont été projetés à travers la pièce. Je n’exagère aucunement. La violence du tremblement de terre nous a littéralement emportés. Des casiers fermement fixés se sont renversés et de petits incendies, heureusement éteints rapidement, se sont déclenchés. Une partie du toit du bâtiment s’est effondrée, j’ai donc dit aux employés de se réfugier dans la cour intérieure. J’ai également demandé aux représentants commerciaux se trouvant à l’extérieur de revenir au bureau de poste. Autour de 15 h 30, il n’y avait pas grand intérêt à poursuivre le travail et les employés s’inquiétaient pour leur famille et leur maison. J’ai donc décidé de les laisser quitter leur poste. C’est en sortant du bureau de poste que j’ai vu déferler la vague couleur d’encre du tsunami. Il était 15 h 26 quand la vague a atteint Ishinomaki. Je me suis sauvé en courant et me suis réfugié dans l’école primaire Nakasato à proximité. L’eau a envahi les alentours du bureau de poste à une hauteur de 1,5 mètre. Nous ne pouvions plus approcher.

Question 2 – La ville d’Ishinomaki a perdu près de 4000 personnes. En outre, selon le rapport de la commune, le tsunami a entraîné une montée des eaux atteignant environ un mètre aux alentours du bureau de poste. Il y a eu beaucoup de blessés parmi les employés et les clients, et on peut supposer que le bâtiment et les véhicules du bureau de poste ont également été affectés. Avec tout cela, j’imagine qu’il a dû être extrêmement difficile d’arriver à restaurer le service. En tant que receveur, quels types de difficultés avez-vous rencontrés?
Les eaux autour du bureau de poste se sont retirées au sixième jour après le tremblement de terre. Nous avons dû attendre que l’eau soit pompée à l’aide d’un véhicule d’assainissement. Le rez-de-chaussée du bureau de poste était inondé et les véhicules qui y étaient stationnés étaient totalement détruits. J’étais également dans l’impossibilité de m’approcher du bureau de poste et j’ai dû me réfugier quelque temps dans l’école primaire. Puis, le 17 mars, j’ai enfin pu me rendre au bureau régional de Tohoku situé à Séndaï. J’ai emprunté une voiture du bureau régional et je suis revenu à Ishinomaki. Le bureau régional a par la suite appuyé nos efforts pour la reprise du service. À partir du 19 mars, nous avons pu commencer à distribuer du courrier en utilisant les vélos et les motocyclettes qui n’avaient pas été endommagées pendant le tsunami. Le 22, soit 12 jours après le tremblement de terre, nous avons pu commencer à traiter le courrier spécial et les paiements d’urgence, qui avaient été réclamés plusieurs fois par la clientèle, aux guichets du bureau de poste d’Ishinomaki. Nous avons bénéficié de l’aide de Japan Post Group pour reprendre les opérations, ce qui nous a rapprochés en tant qu’équipe. En nous appuyant sur la force logistique de la poste japonaise, nous avons également pu installer un générateur d’électricité mobile, le courant n’étant toujours pas revenu. Les toilettes ont présenté un autre problème important. Je pense que c’était un désagrément majeur pour le personnel dans cette situation sans eau ni électricité. Tout le monde était content quand nous avons installé des toilettes portatives.

Question 3 – Comment cette catastrophe a-t-elle changé la communauté locale et le fonctionnement de la poste japonaise? 
Le tremblement de terre et le tsunami de Tohoku] ont montré la force écrasante de la nature. Un grand nombre de personnes ont perdu des proches, des biens matériels et leur travail. Je pense que beaucoup ont été démoralisés. Au milieu de tout cela, tant bien que mal, nous avons avancé pour en arriver au point où nous en sommes aujourd’hui. Je pense que c’est parce que tout le monde a été encouragé à s’entraider. Les employés de Japan Post, stimulés par ce désastre, ont pu mieux prendre la mesure de l’importance de leur travail. Ces événements ont eu lieu quelques années seulement après la privatisation. De nombreux employés mettaient en doute la capacité de la poste japonaise à fournir un service public comme elle le faisait avant la privatisation. Je pense toutefois que la catastrophe a permis aux gens de mieux comprendre l’importance du rôle de la poste japonaise dans l’infrastructure sociale, en particulier dans les domaines postal, financier et des assurances. Les journaux télévisés nationaux sur NHK (Japan Broadcasting Corporation) et sur les chaînes privées dans l’ensemble du pays ont communiqué la réouverture des guichets de poste. Cela a été une bonne nouvelle, car la reprise du service postal était attendue. Dans le cas des services financiers, en particulier, les résidents d’Ishinomaki étaient très heureux d’apprendre la nouvelle, car les filiales des autres institutions financières sont restées fermées pendant trois mois après le tremblement de terre.

Question 4 – Auriez-vous des conseils à apporter aux employés des postes en dehors du Japon sur ce qui peut être fait pour réagir en cas de catastrophe naturelle majeure?
Ayant fait l’expérience d’une catastrophe naturelle, je souhaiterais insister auprès du personnel postal dans le monde entier que le plus important est votre propre vie. On tend à penser que cela n’arrive qu’aux autres, mais c’est faux. De nombreuses personnes ont perdu la vie dans ce tsunami. Elles avaient réussi à s’abriter, mais sont rentrées chez elles par crainte pour leurs affaires et n’ont plus jamais été revues. Il est certain que, face à des catastrophes naturelles, nous nous sentons impuissants. Malgré cette impression, nous pouvons reconstruire la communauté et la société, à condition toutefois de rester en vie. Chaque vie a une valeur inestimable. Si vous vous trouvez face à un événement de ce type, vous devez vous concentrer sur le fait de survivre. N’emportez rien, fuyez immédiatement. Soyez toujours préparé aux catastrophes naturelles. Les simulations et les entrainements sont importants. L’élaboration d’un plan d’urgence ne suffit pas. Il faut le vérifier et l’améliorer régulièrement. Prenez soin de votre famille. C’est elle qui vous appuiera le moment venu. Discutez avec vos proches de la manière de vous contacter et établissez des points de rencontre où vous retrouver en cas de catastrophe. Enfin, ne baissez pas les bras. Nous tendons à perdre espoir dans ce genre d’événements car nous avons le sentiment d’être impuissants et que nos actions sont insignifiantes par rapport à la force écrasante de la nature. Mais si vous n’abandonnez pas, vous remonterez la pente. J’en suis convaincu. Ce qui est perdu est perdu à jamais, mais j’ai l’espoir que chacun puisse surmonter la tragédie et aller de l’avant. Même la nuit la plus noire a une fin et le soleil se lève toujours.

​Plus d’informations dans "A Record of the Great East Japan Earthquake" publié par Japan Post Group en 2012.