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LibanPost réagit – Témoignage d’un employé de la poste

Voici la deuxième partie de la série d’articles de l’UPU sur LibanPost et l’explosion du 4 août à Beyrouth

La tournée quotidienne de Mohammad Fakro le conduit au cœur de la destruction causée par l'explosion du port dans la capitale libanaise. Les débris enchevêtrés et le verre brisé remplacent désormais les bâtiments où il effectuait autrefois ses livraisons. De nombreux clients réguliers ont été tués ou déplacés.
 
Le 4 août était un jour comme un autre pour Mohammad. Il a commencé tôt et a pris le courrier pour sa tournée au bureau de Riad Solh (dans le centre de Beyrouth) – l’un des bureaux de LibanPost qui, plus tard dans la journée, serait presque entièrement détruit.
 
Il traverse le centre-ville cossu jusqu'au port, passe devant l'abattoir et se dirige vers Karantina, une zone défavorisée en face du port qui a été le plus durement touchée par l'explosion. Il termine sa tournée à 14 heures. Un peu après 18 heures, tous les bâtiments le long de son itinéraire de distribution explosent.
 
Sa première tournée après la fermeture de la poste libanaise pendant trois jours après l'explosion a été une expérience douloureuse.
 
«Je demandais aux gens dans la rue: ‹Où est cette personne maintenant?› Et ils me répondaient qu'elle avait péri dans l’explosion ou qu’elle était à l’hôpital ou partie en voyage, ou qu’elle avait fui [le pays]. C’était simplement… très triste.»
 
«Je me souviens du portier de l’immeuble de l’un de mes clients habituels; on m'a dit que lui et toute sa famille étaient morts dans l'explosion. Lui et ses deux filles.»
 
Mohammad cherchait à savoir ce qu’étaient devenus ses clients réguliers, mais il essayait aussi de distribuer le courrier à des adresses qui n’existaient plus et à des personnes qui avaient fui du jour au lendemain vers d'autres régions du pays.
 
«S’il y avait un numéro de téléphone lié à l’adresse d’un client, nous appelions pour organiser la distribution du courrier», a-t-il expliqué. «Sinon, nous comptions sur les voisins pour nous indiquer son nouveau lieu de résidence ou conservions son courrier en lieu sûr jusqu'à ce qu'il nous contacte. Mais nous retournions sur les lieux tous les jours [si le bâtiment était encore debout].»
 
Toutefois, de nombreux bâtiments restants ont été fragilisés par l'explosion.
 
«Dans un ou deux bâtiments dans lesquels je suis entré... on aurait dit que les murs avaient été littéralement arrachés par la force de l’explosion. J’avais vraiment l'impression que le sol était instable quand je me déplaçais.»
 
«Ceux d'entre nous qui empruntaient les escaliers redescendaient toujours en courant, car nous craignions que les bâtiments s'effondrent.»
 
Dans les premiers temps, explique Mohammad, il était souvent plus facile de trouver les clients, car ils devaient déménager leurs affaires des maisons et des bureaux ou faire des réparations. Dans certains cas, cependant, en l’absence d’indications des voisins ou d’instructions du client pour la réexpédition du courrier, la distribution du courrier est impossible.
 
La vie de Mohammad, comme celle de la plupart des Libanais, avait déjà été bouleversée par l'effondrement économique, mais l'explosion n'a fait qu'aggraver la situation.
 
La monnaie locale a perdu plus de 80% de sa valeur au cours de l'année écoulée et, selon les estimations de certains experts, le Liban est devenu le premier pays du Moyen-Orient/d’Afrique du Nord à connaître une situation d’hyperinflation. Il y avait peu d'argent pour survivre; pour la plupart des gens, il n'y a pas d'argent pour reconstruire.
 
«Nous attendons de voir si quelqu’un peut nous aider. Je suis locataire, et le propriétaire a dit qu'il ne pouvait ni m'aider ni payer les dégâts; il dit qu'il a besoin du loyer pour couvrir ses dépenses. Cela coûte cher, vous savez. Tout le monde est dans le même cas.»
 
Mohammad était chez lui, face au port, avec sa femme et ses deux enfants lorsque l'explosion s'est produite. Elle a fait voler en éclats toutes les vitres de son appartement et dévasté l’intérieur.
 
«Il y a des choses que j'ai réparées dans la maison parce qu'on ne peut pas s'en passer, comme les vitres. J’ai dû faire un emprunt pour payer les réparations. Mais je ne peux pas faire beaucoup plus; je dois payer le loyer, l’école des enfants et les factures.»
 
 Par Abbie Cheeseman, journaliste indépendante, Beyrouth (Liban).