Entretien avec Tetsuo Hasegawa, Expert associé en gestion des risques liés aux catastrophes et aide d’urgence
Q1: Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et de votre rôle actuel au sein de l’Union postale universelle?
Même si ce n’était pas mon intention au départ, j’ai essentiellement travaillé dans le secteur postal. J’ai commencé à travailler en 1999 au Ministère des postes et télécommunications du Japon (l’actuel Ministère des affaires intérieures et des communications). À cette époque, le Ministère œuvrait à la fois en tant que régulateur et opérateur postal. La fonction opérationnelle a par la suite été transférée à la poste japonaise, et le Ministère a simplement conservé son rôle de régulateur. J’ai choisi de continuer à travailler au Ministère. Après le séisme et le tsunami de Tohoku, en 2011, j’ai travaillé pendant trois ans à l’ambassade du Japon en Thaïlande. Dès mon premier jour de travail à l’ambassade, une inondation majeure a frappé la Thaïlande, et je suis venu en aide aux Japonais et aux entreprises japonaises du pays. Avant cet événement, je n’avais aucune expérience en gestion des risques liés aux catastrophes. Cinq ans après le séisme, je suis devenu expert associé en gestion des risques liés aux catastrophes et aide d’urgence à l’UPU. Ma tâche principale consiste à venir en aide aux Pays-membres de l’UPU pour développer des services postaux résilients face aux catastrophes naturelles.
Q2: Quels souvenirs gardez-vous du séisme et du tsunami de 2011?
Au Japon, les tremblements de terre sont très courants et, pour la plupart des Japonais, ils font partie de la vie quotidienne. Cependant, le séisme de 2011 a été un véritable choc. C’était la première fois que je vivais un séisme aussi violent. C’était hors du commun. Le séisme avait trois épicentres différents, qui se sont combinés à un tremblement de terre qui a fait trembler le Japon du nord au sud. Certaines personnes avaient le mal de mer à cause de la durée du séisme. Il s’est produit à 14 h 30. À cette heure-là, je travaillais dans le bâtiment du Ministère, à Tokyo. Le bâtiment est plutôt récent, c’est pourquoi je ne craignais pas qu’il s’effondre. Par contre, on avait l’impression d’être dans un petit bateau sur une mer agitée. Après le séisme, j’ai mis cinq heures pour rentrer chez moi parce que les transports publics ne fonctionnaient pas du tout. Heureusement, la majorité de ma famille et de mes amis vivent à Tokyo, là où je suis né et ai grandi. Personne n’a été blessé, car la ville est située à plus de 500 kilomètres du tremblement de terre. Nos maisons n’ont pas été endommagées. Par contre, ce jour restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Q3: Avez-vous été impliqué dans la gestion des conséquences du séisme et du tsunami?
Après l’accident, mon supérieur m’a demandé de me rendre dans les zones sinistrées du pays pour recueillir des informations et faire un rapport. Je suis resté là-bas deux jours: on avait l’impression que la zone avait subi un bombardement intensif, il ne restait plus rien. Notre Ministère était un centre de commandement du Gouvernement japonais. Notre première priorité était de sauver les gens. Dans ces situations, il faut absolument agir dans les soixante-douze premières heures, car plus le temps passe, plus la tâche est ardue. Une autre priorité était de maintenir les communications avec les zones touchées en utilisant des téléphones mobiles. Cependant, cette mission s’est révélée compliquée: de nombreuses tours de télécommunication n’étaient plus alimentées, et les tours situées sur les côtes avaient été détruites par le tsunami. La situation était si inextricable que nous n’avons pas pu faire grand-chose lors de la première semaine. La poste japonaise a une procédure normalisée lors des catastrophes et propose, par exemple, des retraits d’argent simplifiés. Toutefois, le tsunami a été si dévastateur que même les employés postaux en ont été victimes et que de nombreuses infrastructures postales ont été détruites. C’est pour cette raison qu’il a été difficile de fournir une aide d’urgence normale. Malgré tout, nous avons fait en sorte de sauver les «trois P»: personnes (employés postaux), propriété (infrastructures postales) et produits (service postal).
Q4: Comment l’UPU est-elle venue en aide au Japon?
Quarante-huit heures après le séisme, l’UPU a proposé une aide d’urgence au Japon. Ce type d’offre comprend généralement des équipements tels que des générateurs, des ordinateurs, des scanners, des balances numériques, etc. Le Japon a remercié l’UPU, mais n’a pas accepté l’offre, car le pays pouvait compter sur ses propres ressources. Le Gouvernement japonais a alloué un budget d’urgence pour réparer les tours de communication. La poste japonaise n’a pas eu besoin de cette aide d’urgence, car elle détenait suffisamment de ressources financières pour se maintenir. Dans certains cas, l’envoi d’aides par des administrations étrangères peut être problématique. La barrière de la langue explique en partie ce phénomène. Par exemple, la majorité des Japonais ne parlent pas anglais couramment et il était difficile pour eux d’accepter de l’aide internationale. Le Japon n’est pas le seul pays concerné. Quand une catastrophe naturelle se produit, l’UPU est toujours prompte à réagir et se tient prête à fournir de l’aide aux pays touchés. La plupart des pays ne répondent pas, car ils n’en ont pas besoin. Cependant, les pays disposant de ressources très limitées, comme les pays des Caraïbes et les petits États insulaires en développement, qui sont presque chaque année victimes d’inondations et d’ouragans violents en raison de leur situation géographique, ont besoin de notre aide. Nous préparons actuellement notre solution d’aide d’urgence pour certains de ces pays.
Q5: Comment l’UPU apporte-t-elle son aide aux pays touchés par les catastrophes naturelles?
L’UPU aide les pays touchés grâce à ses outils, dont le programme d’aide d’urgence fait partie. Lancé en 2010, ce dernier aide ces pays à se reconstruire en leur fournissant l’équipement nécessaire et en soutenant la reconstruction de leurs infrastructures postales. La gestion des risques liés aux catastrophes, un autre programme de l’UPU, se compose d’actions axées sur la préparation aux situations d’urgence telles que la planification, le renforcement des capacités et la formation du personnel. L’une des décisions prises à l’occasion du Congrès d’Istanbul 2016 a été d’accorder une plus grande importance à ce type de précautions plus économiques. Depuis le Congrès, j’ai travaillé sur le développement d’outils de gestion des risques liés aux catastrophes. L’année dernière, l’UPU a lancé un nouveau programme d’assistance technique basé sur un fonds consacré à la résilience face aux catastrophes naturelles. Ce fonds soutient les membres de l’UPU issus de pays en développement en leur permettant de se préparer aux situations d’urgence. Les pays déjà sélectionnés sont le Bhoutan, le Costa-Rica, l’Équateur, la Grenade, le Kenya, le Népal, le Togo, le Viet Nam et la Zambie. Le Japon a créé ce fonds afin d’investir davantage dans la gestion des risques liés aux catastrophes après le séisme de 2011. Le secteur postal ne fait pas exception. N’importe quel pays peut investir dans ce fonds. L’UPU a également créé un fonds d’urgence et de solidarité qui a aidé 14 pays depuis sa création, en 2010.
Q6: Comment l’UPU va-t-elle renforcer son rôle dans les domaines de la gestion des risques liés aux catastrophes et de l’aide d’urgence?
Notre première priorité est de renforcer le programme d’assistance technique en augmentant son budget. Actuellement, le programme alloue 50 000 CHF par projet. Cette somme n’est pas suffisante la plupart du temps. Nous souhaiterions améliorer nos solutions d’assistance en menant des recherches sur les différents besoins des Pays-membres lorsqu’ils sont confrontés aux catastrophes naturelles. Par exemple, il est essentiel d’investir dans les technologies de l’information et de la communication, comme des technologies de capteur pouvant détecter les signes avant-coureurs des catastrophes. Nous devons également renforcer notre coopération en matière de gestion des risques liés aux catastrophes avec les organisations des Nations Unies. L’UPU travaille déjà avec l’Organisation météorologique mondiale et souhaiterait renforcer sa collaboration avec l’Union internationale des télécommunications.
Q7: Souhaitez-vous nous faire part d’autre chose sur le sujet?
Les catastrophes naturelles représentent une menace très grave pour le réseau postal international, qui est le plus vaste réseau physique au monde. Un tiers des perturbations des services postaux sont causées par des catastrophes naturelles. En règle générale, les postes sont trop occupées par leurs activités quotidiennes et ne prennent pas au sérieux les risques naturels. Cependant, quand une catastrophe se produit, ces répercussions peuvent être dévastatrices. Je pense que les investissements dans la gestion des risques liés aux catastrophes sont rentables et nécessaires. J’espère que les opérateurs postaux, et notamment ceux des pays les moins avancés, comprendront l’importance de bien se préparer aux situations d’urgence.
Plus d’informations dans "A Record of the Great East Japan Earthquake" publié par Japan Post Group en 2012.