Le volume des envois de la poste aux lettres traités par le Groupe La Poste a baissé de 70% en dix-huit ans. Dans le même temps, les volumes des colis postaux, stimulés en partie par le commerce électronique, ont augmenté en flèche. Ces évolutions ne représentent pas seulement un défi pour l’opérateur désigné français, mais reflètent une tendance mondiale. Comment les opérateurs désignés peuvent-ils répondre à l’évolution des comportements des utilisateurs tout en continuant à assurer une communication fluide et rentable entre les citoyens? Pour répondre à ces questions et partager des pratiques exemplaires, 20 Directeurs d’opérateurs désignés africains se sont réunis au siège de La Poste, à Paris (France), du 15 au 17 avril 2025 pour un échange triangulaire organisé par la Direction des relations européennes et internationales et l’UPU.
Aborder le changement et la réglementation comme des défis partagés du secteur postalL’exposé du Directeur de la régulation et de la recherche sur la libéralisation et la réglementation des industries de réseau a été suivi de débats particulièrement animés. Dans un grand nombre de pays, les services postaux sont considérés depuis longtemps comme des monopoles classiques d’État chargés d’assurer une communication rentable à l’échelle nationale. L’absence de concurrence a souvent ralenti l’innovation et le développement de nouveaux services. La libéralisation graduelle a visé à remédier à cela, mais nécessite également une réglementation nationale, car les marchés seuls ne peuvent pas préserver tous les intérêts du public. Aujourd’hui, un grand nombre d’opérateurs désignés nationaux considèrent que les obligations imposées par l’État sont de plus en plus pesantes: ils doivent concilier leur mission de service public avec la nécessité d’assurer leur viabilité économique, malgré le fait que les produits postaux traditionnels, comme les envois de la poste aux lettres, sont en forte baisse.
Plusieurs participants ont indiqué que les inquiétudes des postes sont souvent négligées par les décideurs politiques de leurs pays. Les organes de régulation tendent à se concentrer sur les télécommunications, tandis que les défis auxquels font face les opérateurs désignés reçoivent peu d’attention. Dans certains cas, cette négligence prend même une forme concrète, quand les représentants de certains pays sont apparemment tenus de libérer leurs locaux en faveur d’autres départements considérés comme plus importants par leur gouvernement.
En parallèle, les discussions ont également porté sur les nouvelles pressions concurrentielles auxquelles font face les opérateurs désignés, particulièrement dans le domaine des services financiers. Les participants ont noté que les postes sont confrontées non seulement aux contraintes réglementaires, mais aussi à une hausse de la concurrence des plates-formes technologiques mondiales et des nouveaux acteurs numériques offrant des services de paiement, des solutions d’identité numérique ou d’assurance, souvent sans les mêmes responsabilités réglementaires ou obligations de service public que les postes nationales.
Modèles hybrides et numériques comme stratégies clés pour s’adapter au changementCertaines des solutions présentées à Paris illustraient comment les opérateurs désignés peuvent aborder ces tensions. La Poste a expliqué comment elle répondait aux exigences réglementaires, comme la couverture du territoire, au moyen d’approches de plus en plus flexibles, sans compromettre le service universel. Elle y parvient notamment grâce à des modèles de partenariats hybrides avec des entreprises ou des autorités publiques comme «Point La Poste» (guichets postaux intégrés à des entreprises partenaires équipés de terminaux en libre-service), France Service et des équipes de conseil numérique qui assurent un accès à l’échelle nationale aux services numériques et administratifs.
La Poste a également montré comment la dématérialisation peut servir d’instrument d’adaptation à un secteur en pleine évolution. Les sujets incluaient le développement de systèmes de paiement instantané, les solutions de paiement mobile et interopérables ainsi que les stratégies pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires. Ces innovations numériques améliorent non seulement l’efficacité, mais elles aident également à sauvegarder la pertinence des opérateurs désignés en compétition avec les principales plates-formes technologiques et entreprises de fintech.
Digiposte est un exemple particulièrement parlant d’innovation numérique. Il s’agit d’un service pour le partage, l’archivage et la gestion de documents de manière électronique et sûre. Exploité par Docaposte, la filiale de La Poste pour les services numériques de confiance, Digiposte fonctionne comme un coffre-fort numérique sécurisé pour les citoyens où les documents personnels peuvent être stockés et gérés sur le long terme. En complément de cet usage personnel, La Poste offre des solutions d’archivage certifiées pour les documents juridiquement contraignants tels que les courriers électroniques recommandés, les contrats numériques ou les registres officiels demandés par les autorités et les entreprises. Ces documents sont archivés de façon sûre pendant dix ans, conformément à la réglementation applicable, et peuvent servir de preuves juridiques valides en cas de litige. Ce service répond à un besoin crucial de la transition numérique: remplacer la perte de registres traditionnels sur support papier par des options numériques sécurisées tout en garantissant la certitude juridique. Parmi les Directeurs postaux africains, qui ont manifesté à plusieurs reprises leur désir pour des solutions numériques fiables et normalisées, ce modèle a été perçu comme particulièrement pertinent.
Cependant, ces avancées présentent malgré tout des limites: à la fois en France et dans les pays africains, une proportion importante de la population reste exclue du numérique. L’inclusion numérique est donc nécessaire pour rendre ces solutions accessibles à toute la clientèle, car elles ne peuvent aider à relever les défis liés à l’évolution des conditions du secteur postal que si elles sont effectivement utilisées.
L’événement à Paris a fourni un exemple criant de coopération triangulaire et Sud-Sud avec des avantages tangibles pour toutes les parties. Les Directeurs africains ont exprimé leur satisfaction à l’égard de la diversité de solutions présentées et de l’ouverture des échanges. L’accent mis sur les technologies et les pratiques exemplaires, mais également les réflexions partagées sur les réalités politiques, les limitations systémiques et la faisabilité ont été particulièrement utiles. Ce dialogue ouvert sur les obstacles structurels, les spécificités nationales et les défis réglementaires a été décrit par plusieurs participants comme enrichissant. Pour La Poste, l’échange a également été fructueux: ces rencontres en personne aident à favoriser la compréhension mutuelle, à renforcer les relations avec les opérateurs désignés africains et elles offrent des perspectives précieuses pour le développement ultérieur de leurs propres solutions numériques. En outre, les rencontres comme celles-ci génèrent des synergies et renforcent la communauté postale en pleine période de profonds changements.
Cet article a été publié pour la première fois dans Union Postale Été 2025.